Du pauvre B.B
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retour les voix d'Avon
Bertold Brecht '' Du pauvre B.B (1922)
Moi, Bertolt Brecht, je suis des forêts noires. Ma mère m’a porté dans les villes Quand j’étais dans son ventre. Et le froid des forêts En moi restera jusqu’à ma mort
Je suis chez moi dans la ville d’asphalte Depuis toujours muni des sacrements des morts ; De journaux, de tabac, d’eau-de-vie Méfiant, flâneur et finalement satisfait.
Je suis gentil avec les gens Je fais comme eux, je mets un chapeau dur. Je dis : ce sont des animaux à l’odeur très particulière, Puis je dis : ça ne fait rien, je suis l’un d’eux.
Sur mes chaises à bascule parfois J’assieds avant midi deux ou trois femmes. Je les regarde sans souci, et je leur dis : Je suis quelqu’un sur qui vous ne pouvez pas compter.
Le soir j’assemble chez moi quelques hommes Et nous causons, nous disant « gentleman ». Ils posent les pieds sur ma table et déclarent : Pour nous bientôt, ça ira mieux. Jamais je ne demande : Quand ?
Le matin les sapins pissent dans l’aube grise Et leur vermine, les oiseaux, commencent à crier. C’est l’heure où dans la ville, je siffle mon verre, je jette Mon mégot, je m’endors plein d’inquiétude.
Nous nous sommes assis, espèce légère Dans des maisons qu’on disait indestructibles. (Ainsi nous avons élevé les longs buildings de l’île Manhattan, Et ces minces antennes dont s’amuse la mer Atlantique.)
De ces villes restera celui qui passait à travers elles : le vent ! La maison réjouit le mangeur : il la vide. Nous le savons, nous sommes des gens de passage ; Et qui nous suivra ? Rien qui vaille qu’on le nomme.
Dans les cataclysmes qui vont venir, je ne laisserai pas, j’espère, Mon cigare de Virginie s’éteindre par amertume, Moi, Bertolt Brecht, jeté des forêts noires Dans les villes d’asphalte, quand j’étais dans ma mère, autrefois.
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